Thèse de Nina Huynh
publié le
Caractérisation des eaux résiduaires urbaines par spectrométrie de masse haute résolution : influence de la stratégie analytique, limitations et perspectives
- Durée de la thèse : 2018 à 2022
- Soutenance de thèse : 08 avril 2022
- Encadrement : Régis Moilleron (directeur de thèse) et Julien Le Roux
- Projet associé : WaterOmics
Synthèse de la thèse de Nina Huynh
Thèse (manuscrit) de Nina Huynh
Ce travail de thèse s’est intéressé à l’analyse non-ciblée des micropolluants organiques dans les eaux résiduaires par spectrométrie de masse haute résolution, du développement de méthode aux applications en traitement des eaux.
De nombreux micropolluants sont présents dans les eaux urbaines mais leur comportement et leurs produits de transformations dans les stations de traitement des eaux usées et dans l’environnement sont encore peu connus. Les méthodes d’analyse ciblées conventionnelles utilisées pour l’analyse de ces substances permettent de les détecter et de les quantifier à l’état de traces dans différentes matrices environnementales. Cependant, ces techniques s’appuient sur l’utilisation d’étalons de référence qui ne sont pas disponibles pour tous les composés, encore moins pour les produits de transformation qui sont souvent mal caractérisés ou tout simplement inconnus. Avec l’émergence de la spectrométrie de masse haute résolution (HRMS), de nouvelles stratégies d’analyses dites en mode suspect ou non-ciblées (NTS) se sont développées. Elles permettent la détection d’un grand nombre de signaux et contribuent ainsi à l’analyse de composés aussi bien connus, qu’inconnus. Cependant, ces nouvelles méthodes d’analyse sont longues et complexes et beaucoup d’études se concentrent sur un nombre limité des signaux priorisés laissant le reste des signaux inexploités.
Les objectifs de ce travail étaient de comprendre :
- comment tirer le maximum d’informations des données acquises en HRMS ?
- comment mieux caractériser la diversité des molécules détectées par HRMS ?
- quelle est la valeur ajoutée des méthodes de NTS pour la caractérisation des micropolluants organiques dans l’environnement ?
Ce travail a été mené avec les instruments analytiques mis à disposition par la Plateforme Régionale d’Analyse Multi-Milieux des Micro-ContaminantS (PRAMMICS) et en collaboration avec la Direction Innovation du Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne (SIAAP) qui a permis l’accès aux échantillons issus de ses différentes stations de traitement des eaux usées.
Evaluation de méthodes de traitement de données
Les méthodes de traitement de données pour le NTS s’appuient sur divers logiciels propriétaires ou libres permettant d’exploiter la grande quantité d’information tirée de la HRMS. Cependant, l’approche classique du traitement de données NTS passe par une étape de priorisation de signaux dont le but est de sélectionner un nombre restreint de marqueurs d’intérêts. Les premières investigations de ce travail ont été consacrées au développement de méthodes de traitement de données permettant de faciliter la comparaison d’empreintes obtenues par HRMS. Pour cela, le logiciel attaché à l’instrument analytique a dans un premier temps été exploité, puis, complété par différents outils et logiciels libres permettant de fiabiliser et d’élargir les possibilités en termes d’exploitation des données. Par ailleurs, l’apport de la mobilité ionique dans ce processus a aussi été évaluée afin de confirmer l’utilité de ce paramètre de séparation complémentaire disponible sur notre appareil.
Comparaison de méthodes analytiques
La particularité du NTS est de pouvoir fournir un très grand nombre d’information vis-à-vis des échantillons analysés. Pour cela, les méthodes analytiques ont pour objectif d’être le plus exhaustives possible afin de pouvoir fournir des données représentatives des échantillons. La préparation d’échantillon est très majoritairement réalisée par extraction sur phase solide en utilisant des phases dites « universelles » (de type HLB) qui sont adaptées à de très nombreuses molécules ou alors avec une combinaison de plusieurs phases afin de permettre la rétention d’un spectre encore plus larges de substances présentes dans les échantillons. En ce qui concerne l’analyse, celle-ci est très souvent réalisée par chromatographie en phase liquide, couplée à la spectrométrie de masse haute résolution, en utilisant presqu’exclusivement une colonne chromatographique de type C18.
Il n’existe que très peu d’études décrivant la comparaison de différentes méthodes d’analyse NTS et celles-ci sont majoritairement effectuées en s’appuyant sur une liste de molécules prédéfinie. Ainsi, ces méthodes d’analyses restent mal caractérisées et peu d’informations sont donc disponibles quant à la diversité de molécules analysables par chacune d’elles.
L’objectif de cette partie était donc de diviser un même échantillon en diverses fractions ayant des propriétés physico-chimiques différentes, puis de les analyser avec des techniques différentes. Une caractérisation basée sur l’ensemble des signaux détectés en NTS a été effectuée en mettant en place différents critères de comparaison afin d’apporter plus de connaissances quant aux particularités de chaque méthode.
Ces résultats ont en partie fait l’objet d’une publication internationale (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03448875/ [1]).
La comparaison de méthodes de préparation a permis de montrer que l’extraction sur phase solide était majoritairement utilisée car elle permet d’obtenir un grand nombre d’information tout en limitant le volume d’échantillon et de solvants nécessaire. La comparaison de différentes phases pour cette méthode met en évidence l’influence du matériau sur le nombre et la spécificité des données recueillies. L’injection directe de l’échantillon (i.e., sans étape de préparation) permet toutefois de détecter un certain nombre de signaux uniques. Ainsi, malgré l’utilisation de onze phases d’extraction différentes, certaines informations présentes dans l’échantillon initial ne sont pas récupérées par extraction sur phase solide. Ces signaux perdus correspondent pourtant à des molécules présentes en concentration relativement importantes initialement, puisque visibles sans étape de préconcentration.
Concernant la comparaison de méthodes d’analyse, celle-ci a tout d’abord permis de mettre en place une méthode permettant de comparer différentes colonnes de chromatographie pour l’analyse d’un même échantillon. Cette dernière met notamment en évidence l’avantage de la mobilité ionique qui permet ici de fiabiliser cette comparaison. D’autre part, cette comparaison montre que le choix de la colonne chromatographique est crucial quant aux informations obtenues en fin de processus, puisque les 3 colonnes étudiées ne montrent que très peu de signaux communs.
Application des méthodes pour la comparaison d’échantillons oxydés
Les micropolluants organiques sont de présents dans de nombreux produits que nous utilisons au quotidien (e.g., médicaments, cosmétiques, désinfectants...) et transitent ainsi par les stations de traitement des eaux usées. Cependant, ces dernières ne sont initialement pas conçues pour traiter ce type de pollution. Afin de limiter notre impact sur les milieux récepteurs, différents traitements complémentaires sont étudiés pour application en fin de filière de traitement afin de réduire la présence de ces composés dans les eaux rejetées vers l’environnement. Parmi eux, les traitements par oxydation semblent efficaces pour l’abattement d’un grand nombre de substances. Cependant, ils sont également à l’origine de la formation de nouveaux produits, issus de la transformation des molécules initiales, qui peuvent, dans certains cas s’avérer plus toxiques.
L’objectif de cette partie était de mettre en œuvre les méthodes présentées dans les deux parties précédentes afin d’étudier l’impact de différents traitements d’oxydation sur les micropolluants organiques présents dans les effluents d’eaux usées traitées, et leur potentiel à former des produits de transformation.
Un premier cas d’application a concerné l’étude de la désinfection d’un rejet de station par l’acide performique pour comprendre son mécanisme d’action sur les micropolluants organiques. Les résultats montrent qu’à faible dose, cet oxydant permet de réduire l’aire totale des signaux obtenus par HRMS, en formant un nombre limité de produits de transformation qui sont majoritairement plus petits et plus polaires que les molécules qui ont été éliminées par le traitement. Parmi les produits formés, la lidocaïne N-oxyde a pu être identifiée de façon inédite comme marqueur discriminant du traitement. Des études mécanistiques complémentaires en conditions contrôlées ont permis de confirmer le potentiel de l’acide performique à réagir avec des amines tertiaires pour former des N-oxydes, produit de transformation déjà connus pour l’ozonation. Ces résultats ont fait l’objet d’une publication internationale [2].
Ces produits de transformation ont été étudiés de façon plus approfondie dans le second cas d’application faisant appel à un procédé d’ozonation. Cette étude a notamment permis de mettre en place une méthode de traitement de donnée plus globale permettant de repérer ce type de transformation en s’appuyant sur l’ensemble des masses détectées (approche par défaut de masse de Kendrick).
La comparaison des différentes méthodes d’extraction présentées précédemment a permis de mettre en évidence l’utilité de certaines phases de préparation pour la caractérisation des produits d’oxydation en particulier. En effet, les phases Coconut Charcoal et DPA-6S ont montré une capacité particulière à retenir les produits formés après application des différents traitements d’oxydation. Il serait alors intéressant d’étudier le potentiel d’une nouvelle cartouche multiphasique intégrant la phase DPA-6S pour l’étude de ces produits.
Les méthodes d’analyse et de traitement de données développées dans cette thèse ont également été appliquées à la caractérisation non-ciblée des micropolluants dans les eaux de ruissellement de voiries et parkings urbains (projet associé Roulépur) : https://hal-enpc.archives-ouvertes.fr/hal-03559673 [3] et https://hal-enpc.archives-ouvertes.fr/hal-03565156 [4]
[1] Huynh N, Caupos E, Soares Peirera C, Le Roux J, Bressy A, Moilleron R. Evaluation of Sample Preparation Methods for Non-Target Screening of Organic Micropollutants in Urban Waters Using High-Resolution Mass Spectrometry. Molecules. 2021;26(23):7064. Available at: https://www.mdpi.com/1420-3049/26/23/7064. Consulté novembre 23, 2021.
[2] Nihemaiti M, Huynh N, Mailler R, et al. High-Resolution Mass Spectrometry Screening of Wastewater Effluent for Micropollutants and Their Transformation Products during Disinfection with Performic Acid. ACS ES&T Water. 2022. Available at: https://doi.org/10.1021/acsestwater.2c00075. Consulté juillet 1, 2022.
[3] Gasperi J, Le Roux J, Deshayes S, et al. Micropollutants in Urban Runoff from Traffic Areas: Target and Non-Target Screening on Four Contrasted Sites. Water. 2022;14(3):394. Available at: https://www.mdpi.com/2073-4441/14/3/394. Consulté janvier 31, 2022.
[4] Sandré F, Huynh N, Gromaire M-C, et al. Road Runoff Characterization: Ecotoxicological Assessment Combined with (Non-)Target Screenings of Micropollutants for the Identification of Relevant Toxicants in the Dissolved Phase. Water. 2022;14(4):511. Available at: https://www.mdpi.com/2073-4441/14/4/511. Consulté février 9, 2022.