OPUR, un observatoire d'hydrologie urbaine en Île-de-France

Thèse de Fidji Sandré

par Administrateur site OPUR - publié le

Evaluation écotoxicologique d’un polluant pharmaceutique d’intérêt émergent (le furosémide) et de ses produits de dégradation

Synthèse de la thèse de Fidji Sandré
Thèse (manuscrit) de Fidji Sandré [1]

Ce travail de thèse a eu pour objectif d’étudier le devenir et la toxicité du furosémide comme polluant pharmaceutique modèle dans les eaux usées.

Le furosémide peut en effet former des métabolites et produits de dégradation, tel que le pyridinium du furosémide, avec des effets délétères sur l’environnement et la santé (ex. maladies dégénératives).

Les objectifs de cette thèse étaient donc :

  • évaluer la contamination au furosémide dans les eaux urbaines, sur le territoire français et dans le bassin Seine Normandie
  • développer une méthode d’analyse par chromatographie liquide couplée à de la spectrométrie de masse afin de pouvoir quantifier le furosémide mais également le pyridinium et la saluamine dans l’environnement
  • étudier leur devenir dans les réseaux de traitement des eaux usées en testant notamment l’efficacité de dégradation du furosémide par des procédés de traitement avancé (UV/H2O2, Chloration, Ozonation) et suivre l’éventuelle production de nouveaux sous-produits.
  • évaluer la toxicité de ces molécules, à des concentrations fortes et environnementales, sur des modèles représentatifs d’un écosystème aquatique (poisson, daphnie, algue) en appliquant différents bioessais. Une première approche sur des effets cocktails a également été réalisée.
  • évaluer leur impact sur les cellules humaines de foie, de rein et de neuroblastome à l’aide d’une approche en protéomique

1.Etat de l’art sur le furosémide

Une analyse bibliographique extensive a été réalisée. Différents aspects du furosémide ont été documentés : sa consommation, son occurrence dans différentes matrices, persistance, produits de dégradation connus ainsi que leur toxicité. Les données collectées ont fait l’objet d’un article de revue publié dans le journal Environmental Pollution. [2]

Cette revue dresse un portrait global du furosémide et souligne son omniprésence. C’est l’un des médicaments les plus vendus dans le monde, largement prescrit aux personnes âgées, mais aussi aux jeunes adultes et aux enfants, ainsi qu’en médecine vétérinaire, depuis près de 60 ans. Au niveau de sources telles que les hôpitaux et les influents de STEU, des fortes concentrations de furosémide sont retrouvées. Le traitement de ces eaux étant insuffisant, on en retrouve en concentrations importantes dans les rejets de STEU et dans les rivières autour de quelques centaines de nanogrammes par litre, et aussi parfois dans les eaux souterraines. Les procédés d’oxydation peuvent être efficaces pour limiter les rejets de furosémide dans l’environnement, mais ce dernier est dégradé en plusieurs sous-produits dont la saluamine, le pyridinium du furosémide, ou le furfural. Ces composés présentent parfois une toxicité plus importante que celle du furosémide, et la toxicité de certains produits de dégradation n’est pas connue.

2.Contamination du bassin versant Seine-Normandie

La consommation, les flux, ainsi que la présence du furosémide dans le bassin versant Seine-Normandie ont été estimés à partir des bases de données Naïade et OpenMedic ainsi que des relevés effectués par l’Agence de l’Eau Seine-Normandie.

Près de 82% des sites échantillonnés en Ile-de-France et en amont présentent des concentrations inférieures à la limite de quantification de 20 ng/L, 17% des cours d’eau présentent des concentrations de furosémide comprises entre 20 et 100 ng/L, et 1% des sites présentent des valeurs supérieures à 100 ng/L.

Des concentrations importantes sont donc retrouvées ponctuellement et à proximité de potentielles sources comme des rejets de stations d’épuration ou la proximité d’EHPAD. Au niveau de la station de Poissy utilisée dans cette étude, le flux de furosémide a été d’environ 650 kg/an, soit 2,7% du flux total sur les 32 résidus pharmaceutiques analysés. Les ventes de furosémide sur le Bassin Seine-Normandie sont estimées à 6,3 T/an en 2019, 2020 et 2021 soit 21% de la consommation française. Ces résultats ont fait l’objet d’un article scientifique pour la revue Techniques Sciences Méthodes. [3]

3.Quantification du furosémide et de ses sous-produits, et leur dégradation par des procédés d’oxydation

Une méthode d’analyse du furosémide, du pyridinium du furosémide et de la saluamine a été développée par chromatographie liquide couplée à de la spectrométrie de masse. Des effluents de la station d’épuration Seine-Centre (Paris, France) ainsi que ceux de maisons de retraite (Dordogne, France) ont été analysés afin d’obtenir des ordres de grandeur de la concentration des différents composés étudiés dans ces matrices.

Le furosémide a été dégradé dans les STEU de Seine-Centre (>75%) mais n’a pas produit un surcroît pour ses principaux produits de dégradation. La saluamine et le pyridinium du furosémide étaient déjà présents à des concentrations similaires à celles du furosémide dans les eaux usées brutes ( 2,5-3,5 µg/L), et leur élimination dans les STEU était très élevée (>80%).

Représentation des différentes expériences d’oxydation

Dans le but d’étudier la dégradation du furosémide et d’observer la formation de ses produits de dégradation par des procédés avancés de traitement, des expériences d’oxydation (UV/H2O2, chloration et ozonation) ont été mises en place avec de l’eau ultra pure dopée au furosémide. Les composés connus ont été quantifiés par UPLC-MS/MS et une analyse HRMS a été réalisée pour identifier d’éventuels autres produits de dégradation. Des expériences similaires ont été réalisées sur des effluents d’EHPAD.

Malgré les traitements, les trois composés sont restés présents à des concentrations de centaines de nanogrammes par litre. La chloration a dégradé le furosémide sans production de pyridinium, contrairement aux deux autres procédés. La chloration et l’ozonation ont également été efficaces pour l’élimination du furosémide et du pyridinium dans l’eau des maisons de soins résidentielles, mais elles ont entraîné la production de saluamine. À notre connaissance, il s’agit de la première preuve de la présence de saluamine et de pyridinium de furosémide dans des échantillons d’eau réels, que ce soit dans la phase particulaire ou dissoute.

Ces résultats ont fait l’objet d’un article publié dans le journal Chemosphere. [4]

Pourcentage d’élimination du furosémide, de la saluamine et du pyridinium du furosémide par la STEU Seine-Centre

4.Evaluation de la toxicité du furosémide et de ses sous produits

Cette troisième partie avait pour but d’étudier l’effet de ces molécules sur les organismes aquatiques. Les substances polluantes peuvent engendrer des effets variés sur la croissance, la santé, la capacité de reproduction, le comportement, ou encore la survie des organismes.

Pour analyser la toxicité du furosémide et de ses sous produits, une première approche sur la toxicité aiguë du furosémide, de la saluamine et du pyridinium à été développée, mais elle présente cependant de nombreuses limites lors de l’évaluation de risque dans l’environnement. Différents bioessais plus sensibles et plus pertinents ont alors été développés. Le poisson zèbre (Danio rerio), un modèle de vertébré largement utilisé en écotoxicologie, a été choisi en raison de sa robustesse, sa petite taille, sa reproduction facile, rapide et toute l’année. Un invertébré, le micro crustacé Daphnia magna, a été choisi en raison de son temps de génération court, la répétabilité des expériences dûe à la production de clones et sa grande sensibilité. Un organisme primaire, l’algue verte unicellulaire Chlamydomonas Reinhardtii a été choisi pour son rôle important dans les chaînes trophiques et sa facilité de culture.

Test écotoxicologiques développés sur les trois modèles

Les tests de toxicité aiguë, basés sur l’évaluation de la mortalité des organismes, n’ont pas révélé de mortalité importante après exposition aux trois molécules à concentration environnementales. Les EC50 (concentrations létales pour 50% de la population) sont de l’ordre de quelques centaines de milligrammes par litre. En revanche, ces tests ont permis de constater l’apparition d’hémorragies sur les embryons de poissons zèbre à forte concentration (350 mg/L). Ces tests permettent également de relever une toxicité plus importante de la saluamine, le produit de dégradation majoritaire du furosémide.

Des tests plus sensibles ont alors été réalisés et des impacts négatifs ont été relevés à concentrations environnementales sur plusieurs des paramètres testés. Un effet antioxydant de la saluamine a été montré sur les larves de poisson zèbre, traduisant un déséquilibre de la balance redox. La saluamine a également provoqué une élévation du rythme cardiaque. Un impact sur le comportement des larves de poisson zèbre et des daphnies a été montré dès 50 ng/L pour les trois molécules. La diminution de la mobilité engendrée par l’exposition est préjudiciable pour la survie des organismes (nourrissage, prédation, reproduction). Enfin, des effets sur la croissance, la taille et la mobilité des algues vertes ont été observés. Ces organismes étant à la base des chaînes trophiques, leur diminution pourrait avoir un impact sur les écosystèmes.

Enfin, à partir de ces résultats, un score de toxicité calculé pour les trois composés, prenant en compte tous les paramètres et les concentrations environnementales. Ces scores montrent que la saluamine est le composé le plus toxique, suivi du pyridinium du furosémide et enfin du furosémide. Il est important de noter que des effets synergiques ont été observés à des concentrations élevées, mais des effets antagonistes ont été constatés à des concentrations environnementales. Les résultats de notre étude montrent que la mobilité des daphnies est l’indicateur le plus sensible pour évaluer l’impact des trois composés, avec une LOEC de 50 ng/L pour chacun d’entre eux. Ces résultats font l’objet d’un article scientifique en préparation.

Toxicité du furosémide, pyridinium du furosémide et saluamine sur les différents paramètres étudiés sur les organismes modèles

5.Analyses protéomiques sur cellules humaines

Cette dernière partie aborde l’impact des produits de dégradation sur les cellules humaines. La saluamine et le pyridinium étant également des métabolites humains, dans cette partie ont été réalisés des tests de toxicité aiguë sur des lignées cellulaires humaines en culture (foie, rein, neuroblastome). Les concentrations d’effets les plus basses (EC10) ont été déterminées pour chaque lignée cellulaire. Des analyses protéomiques ont été réalisées à ces EC10 afin de mieux comprendre le mode d’action de ces métabolites, d’identifier les voies impliquées et certaines cibles biologiques au travers de l’expression de protéines dérégulées.

Les premiers résultats montrent que le furosémide et ses produits de dégradation ont une toxicité proche sur les cellules humaines. Le mélange de ces composés est beaucoup plus toxique que les composés individuels sur les neuroblastomes, mais pas autant sur les cellules foie et de reins. L’analyse protéomique des cellules exposées à des concentrations faibles révèle que le furosémide seul n’a qu’une faible toxicité, mais que les produits de dégradation sont potentiellement liés à des maladies neurodégénératives, à des perturbations endocriniennes, à des cancers et au stress oxydatif. En outre, cette étude souligne l’importance de prendre en compte les produits de dégradation des médicaments dans l’évaluation du risque toxicologique, car ils peuvent avoir des impacts majeurs et potentiellement plus toxiques que leurs molécules parentes. Ces résultats font l’objet d’un article scientifique en préparation.

Conclusions

Le furosémide, en tant que diurétique largement prescrit, émerge comme un polluant préoccupant, générant d’importants rejets dans l’environnement par le biais des eaux usées médicales. Sa distribution variable dans les eaux de surface, avec des concentrations élevées près de sources ponctuelles, souligne son impact inégal sur l’écosystème aquatique. Les produits de dégradation, notamment le pyridinium et la saluamine, présentent des risques écologiques importants, provoquant des effets délétères sur divers organismes aquatiques et sur les cellules humaines.

Cette étude souligne l’urgence d’améliorer les traitements des eaux usées et de reconsidérer les réglementations pour atténuer les risques environnementaux associés aux polluants pharmaceutiques émergents. Les perspectives futures suggèrent des études approfondies sur la biodisponibilité, la bioaccumulation et les effets à long terme, ainsi que l’exploration d’approches in silico et épidémiologiques pour compléter les évaluations expérimentales. En adoptant une approche "OneHealth", cette recherche offre une stratégie d’étude intégrée transférable à d’autres polluants, de leur utilisation médicale à leur impact sur l’environnement.


[1 Sandré F. Évaluation écotoxicologique d'un polluant pharmaceutique d'intérêt émergent (le furosémide) et de ses produits de dégradation. 2023.

[2 Sandré F, Moilleron R, Morin C, Garrigue-Antar L. Comprehensive analysis of a widely pharmaceutical, furosemide, and its degradation products in aquatic systems: Occurrence, fate, and ecotoxicity. Environmental Pollution. 2024;348:123799. Available at: https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S026974912400513X. Consulté avril 9, 2024.

[3 Sandré F, Grimault L, Moilleron R, Garrigue-Antar L. Sources, distribution et risque potentiel du furosémide dans le bassin versant de la Seine. Techniques Sciences Méthodes. 2024;(11). Available at: https://astee-tsm.fr/articles/tsm-112024-etude-sandre/. Consulté janvier 31, 2025.

[4 Sandre F, Huynh N, Caupos E, et al. Occurrence and fate of an emerging drug pollutant and its by-products during conventional and advanced wastewater treatment: Case study of furosemide. Chemosphere. 2023;322:138212. Available at: https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0045653523004794. Consulté février 27, 2023.