OPUR, un observatoire d'hydrologie urbaine en Île-de-France

Thèse de Emilie Bernard

par Administrateur site OPUR - publié le

Réponse hydro-climatique de Paris et sa petite couronne au climat futur – Impacts de scénarios d’aménagement

Fiche de synthèse détaillée de la thèse de Emilie Bernard
Manuscrit complet de la thèse de Emilie Bernard

Introduction

Plus de la moitié de la population mondiale habite en ville, et ce chiffre devrait encore s’accroitre d’ici 2050. L’artificialisation des surfaces naturelles est croissante et rend les villes et leurs habitants de plus en plus vulnérables aux extrêmes météorologiques et climatiques (IPCC, 2021). Parmi ces vulnérabilités, le phénomène d’îlot de chaleur urbain risque d’être amplifié par l’urbanisation future et l’augmentation de l’occurrence d’évènements climatiques extrêmes (vagues de chaleur), tout comme les risques liés à la perturbation du cycle hydrologique naturel (augmentation de l’intensité et la fréquence des précipitations).

En effet, du fait de l’imperméabilisation des surfaces, l’urbanisation entraine une diminution de l’infiltration des pluies dans le sol, limitant la recharge des nappes et favorisant le ruissellement de surface. L’urbanisation s’accompagne de la mise en place d’infrastructures de gestion des eaux (réseaux d’assainissement, stations de traitement des eaux usées, collecte des eaux pluviales) qui modifient les chemins d’écoulement de l’eau, augmentent la vitesse des écoulements, et favorisent ainsi les crues voire les inondations.

C’est pourquoi la compréhension des échanges thermiques et hydriques, en ville, devient d’une importance capitale et constitue un réel enjeu sociétal et environnemental. C’est notamment pour mieux caractériser ces enjeux que le climat urbain et l’hydrologie urbaine sont étudiés de façon concomitante.

Certaines stratégies fondées sur la nature sont à disposition des aménageurs pour (re)végétaliser les villes, apportant un effet rafraîchissant lié à l’ombrage des arbres et à l’évapotranspiration de la végétation. L’ajout de végétation, associé à l’augmentation de sol perméable permet aussi de capter une plus grande quantité d’eau et de l’infiltrer dans le sol, ce qui limite la quantité d’eau envoyée vers les réseaux d’assainissement. L’évaluation des performances de ce type de solutions végétalisées ne sera que plus robuste si les bilans énergétique et hydrique, sont couplés dans le même outil d’évaluation. Les interactions hydro-climatiques liées aux solutions végétalisées sont encore peu connues à l’échelle de grands territoires urbains.

Objectifs de la thèse

La plateforme SURFEX avec le modèle urbain TEB a permis de coupler les processus hydrologiques et micro-climatiques en abordant pour la première fois au sein d’une même étude : la représentation de l’hydrologie urbaine avec une meilleure description du sous-sol urbain et la prise en compte de la présence d’un réseau d’assainissement, et une description raffinée de la végétation (effets d’ombrage et de trainée des arbres).

L’utilisation d’un tel modèle soulève le besoin de fournir précisément en entrée les caractéristiques décrivant le domaine étudié. Quelles caractéristiques sont particulièrement importantes pour l’étude des processus hydro-climatiques couplés ? A quelles résolutions temporelle et spatiale travailler pour représenter et analyser suffisamment finement ces processus ?

C’est pourquoi un travail de recherche et de combinaison de bases de données d’occupation du sol et architecturales avec une base de données de végétation à haute résolution et avec une description distincte entre la végétation haute et basse a été mené. La texture du sol peut aussi avoir beaucoup d’impact sur les processus physiques qui définissent les équilibres hydrologiques et climatologiques en ville. Enfin la prise en compte du réseau d’assainissement reconstruit est également très importante pour la représentation fine des processus d’hydrologie urbaine.

De plus, une spécificité de l’utilisation d’un modèle hydrologique pose la question de l’adaptation du modèle aux contraintes de la zone. C’est pourquoi, il faut avoir recours à un calage des paramètres impliqués dans le bilan hydrique, en particulier pour fixer les valeurs des paramètres pour lesquels des observations n’existent pas. Un des objectifs scientifiques de la thèse a donc été de développer une méthode de calage qui convienne à un large domaine d’étude composé de multiple bassins versants urbanisés et hétérogènes, avec une question méthodologique : Comment caler hydrologiquement un domaine de grande taille comportant de nombreux bassins versants variés avec peu d’observations ?

Figure 1. Représentation des étapes de la configuration de simulation avec la méthode

Enfin, ce sujet de thèse interroge sur les spécificités du domaine urbanisé de Paris et sa petite couronne, ses enjeux et ses vulnérabilités. Pour pouvoir les déterminer précisément, il s’agit de savoir : Quels résultats attendre de ce modèle ? Ce travail a donc pour objectif l’évaluation du modèle hydro-climatique sur la base d’observations pour permettre d’identifier les forces et faiblesses du modèle couplé. Suite à cela, le modèle est appliqué sur le large domaine de Paris et sa petite couronne afin de caractériser la réponse hydro-climatique de cette zone. Le développement de méthodes et d’indicateurs permet d’évaluer la vulnérabilité hydro-climatique de la zone d’étude.

Configuration de simulation et études préalables

Figure 2. Domaine d’étude délimitant le domaine de simulation global (orange) et le domaine de description du réseau d’assainissement (bleu)

Pour mener cette étude hydro-climatique urbaine, c’est le domaine de Paris et sa petite couronne qui a été choisi en tant que plus grande agglomération française, et parce qu’elle présente un îlot de chaleur urbain déjà caractérisé et un réseau d’assainissement connu. Des observations hydrologiques en réseau d’assainissement ont notamment été collectées (Piren-Seine, Phase 7).

Deux domaines inclus sont représentés (Figure 2) : le plus grand constitue le domaine de simulation total, auquel il est fait référence sous la mention agglomération parisienne, le domaine en bleu comprenant Paris intra-muros et les trois départements limitrophes, sur lequel une description fine des caractéristiques du réseau d’assainissement est disponible (longueur, noeuds, maillages, déversements).

Le modèle TEB est inclus dans la plateforme SURFEX (v8.1), pour simuler les zones urbaines. La configuration des simulations permet d’utiliser le modèle TEB (Masson, 2000) avec les paramétrisations suivantes activées :
 végétation basse et arborée,
 hydrologie urbaine,
 l’UTCI

Plusieurs études de sensibilité et de calage du modèle ont été menées, préalables à la simulation proprement dite de la réponse hydro-climatique du territoire :

  • des études de sensibilité du modèle à la précision de la description de la végétation urbaine ainsi qu’à la texture du sol, pour mieux connaître les impacts de ces caractéristiques sur les résultats de simulation,
  • un calage hydrologique du modèle, afin de fixer les paramètres hydrologiques qui sont difficilement connus et hétérogènes à l’échelle d’un territoire urbain aussi grand. La méthode de calage par régionalisation, jamais utilisée en milieu urbain, a été menée et vise la spatialisation des paramètres de calage, en utilisant une classification des bassins versants qui dépend de leur réponse hydrologique (Figure 3, Tableau 1).
Figure 3. Identification des bassins versants jaugés et utilisés pour le calage. Les codes couleur indiquent la classe à laquelle ils appartiennent
Tableau 1. Combinaisons des valeurs de paramètres de calage pour chaque classe. Les couleurs de chaque colonne correspondent aux couleurs de chaque classe de la Figure 6

Ainsi le modèle a pu être évalué à l’aide d’observations à la fois spatialisées et localisées disponibles sur plusieurs années. Consécutivement, la localisation et les caractéristiques des vulnérabilités hydrologiques et climatiques majeures de la zone ont été identifiées.

Etude de la réponse hydro-climatique

Figure 4. Différence entre les moyennes saisonnières (DJF : hiver, MAM : printemps, JJA : été, SON : automne) des températures minimales observées (Kounkou-Arnaud et Brion, 2018) et simulées sur le domaine, de 2001 à 2017

Les résultats de modélisation mettent en évidence que le modèle reproduit avec une fidélité acceptable les variables hydro-climatiques étudiées même si des biais subsistent (certaines surestimations de températures ; Figure 4).

La comparaison des débits observés aux exutoires des bassins versants aux débits simulés donne des scores globalement insatisfaisants. Les débits observés utilisés pour la phase de calage de certains paramètres, montrent pour quelques uns une qualité médiocre et pour d’autres un fonctionnement du réseau qui évolue dans le temps. Ainsi, seul un bassin versant (DES2BR8, Figure 5) présente des critères satisfaisants.

Figure 5. Hydrogrammes simulé (orange) et observé (noir) pour le bassin versant unitaire DES2BR8 de janvier 2012 à décembre 2014, en dehors de la période de calage. La pluie est en bleu. Les scores NSE et PBias, calculés à partir de ces mêmes débits sont indiqués

Certains bassins situés dans la ville de Paris et situés à l’aval de nombreux autres bassins versants obtiennent des scores insatisfaisants, mais toutefois du même ordre de grandeur et même meilleurs que d’autres bassins versants calés. Il a été identifié que la reconstruction du réseau de ces bassins versants n’était pas de bonne qualité, en lien avec des données descriptives du réseau de mauvaise qualité.

TEB est meilleur pour reproduire les chroniques avec très peu de débit de temps sec (peu d’infiltrations). Sa difficulté à représenter les infiltrations de l’eau du sol dans les réseaux est probablement lié à un assèchement trop rapide du sol.

Identification de zones vulnérables

La question qui a motivé cette partie est celle de la co-localisation ou non des vulnérabilités hydro-climatiques identifiées précédemment sur la zone (Figure 6). La cartographie de ces dernières ne met pas en exergue de zones où co-existent des vulnérabilités intenses de différents types.

Le ruissellement se produit sur les zones les plus imperméabilisées (bâtiments et routes), donc majoritairement sur la ville de Paris. Les UTCI sont maximaux sur les zones bâties avec les rapports d’aspects des rues (rapport de la hauteur sur la largeur du canyon urbain) les plus élevés. Les zones de stress hydrique sont majoritairement présentes aux limites est du domaine (Seine-Saint-Denis et Val de Marne), moins urbanisées. Les bassins versants avec de fort et fréquents déversements dans le milieu naturel sont ceux avec un maximum de surfaces imperméabilisées et avec un taux élevé de connexion de ces surfaces au réseau d’assainissement. Cela semble s’expliquer par peu de végétation sur ces zones et donc peu de pertes en eau par évapotranspiration.

Figure 6. Délimitations des zones les plus vulnérables aux volumes et fréquences de déversement (violet), au stress hydrique (cercles noirs où le SWI est inférieur ou égal à 0), au ruissellement de surface (zone pointillée bleue où le débit est supérieur au Q95 pour l’orage du 9 juillet 2017) et au stress thermique (fond de carte représentant l’UTCI maximal lors des nuits de la canicule 2015).

L’augmentation du stress thermique est inversement dépendante du contenu en eau du sol, donc liée à l’augmentation du stress hydrique. L’augmentation des surfaces végétalisées urbaines arborées ou en végétation basse entraine une plus importante captation d’eau dans le sol et donc également l’augmentation de l’évapotranspiration, diminuant la température de l’air, qui diminue aussi grâce à l’effet d’ombrage associé à la présence d’arbres.

C’est au niveau d’un bassin versant, le DO_MAZAS (sud-est de Paris, 13 ème arrondissement), que les quatre vulnérabilités étudiées se recoupent.

Conclusions et perspectives

Cette thèse a visé à étudier la réponse de la zone de Paris et sa petite couronne du point de vue du lien entre le microclimat urbain et l’hydrologie urbaine au stimuli de forçages météorologiques. La zone de Paris et sa petite couronne a été étudiée sur une période de dix-sept années. Étudier les problématiques d’hydrologie et de microclimat urbains dans le cadre d’un couplage, associé à un territoire de cette taille en font un travail original et représentent une certaine prouesse.

Pour cela, il a été nécessaire de coupler les derniers développements du modèle TEB permettant une représentation détaillée des processus hydrologiques et des interactions microclimatiques entre le bâti et la végétation arborée urbaine. Une configuration de modélisation complexe et détaillée a été mise en place avec ces paramétrisations dans le modèle urbain. Une attention particulière a été apportée aux bases de données à fournir en entrée du modèle, notamment dans le but d’atteindre le niveau de description requis dans ces récentes paramétrisations.

Plusieurs études de sensibilité et de calage du modèle ont été menées, préalables à la simulation proprement dite de la réponse hydro-climatique du territoire. Des améliorations peuvent être apportées dans la méthode de calage. Il serait nécessaire de disposer de davantage de bassins versants jaugés correspondant aux caractéristiques que le modèle est capable de représenter, en menant un travail expert approfondi sur chacun des bassins versants étudiés. Cela passe par une meilleure compréhension de chacun des bassins versants à travers leur gestion et leur fonctionnement. Le réseau d’assainissement reconstruit peut être amélioré à certains endroits, notamment plus particulièrement sur la ville de Paris. Enfin, la classification pour
regrouper les bassins versants peut être améliorée en étudiant d’autres critères à intégrer.

Cette étude met aussi en évidence le besoin de disposer de plus d’observations et de meilleure qualité. Le calage hydrologique pourrait également bénéficier de plus de données ou avec des périodes de disponibilité plus longues. Enfin, l’évaluation du modèle a montré la faible disponibilité de stations mesurant à la fois les flux turbulents, les températures et humidités de l’air mais aussi celles du sous-sol. C’est une problématique importante pour la modélisation notamment en milieu urbain.

La configuration de modélisation établie pendant cette thèse et l’identification des zones de vulnérabilité hydro-climatiques pourront servir de base et être approfondis pour le développement de scénarios d’aménagement. Ces scénarios pourraient notamment s’appuyer sur la végétalisation, pour obtenir les avantages combinés du rafraîchissement des ambiances et de l’amélioration de la gestion des eaux pluviales en augmentant les surfaces d’infiltration, limitant alors leur ruissellement et leur collecte par les réseaux. Connaître précisément les risques hydro-climatiques associées spécifiquement à chaque quartier pourrait intéresser des décideurs pour réaménager au mieux et plus efficacement ces zones dans le but de limiter les risques encourus par la population. Enfin, ces travaux peuvent servir de base pour une étude de la zone et de ses vulnérabilités en changement climatique.

Pour en savoir plus, consulter la fiche détaillée de synthèse ou le manuscrit complet de la thèse.

Valorisation


  • Bernard E, Chancibault K, Munck C de, Mosset A. A new hydro-climate model for urban water management including nature based solutions : a preliminary application on Paris metropolitan area. Dans: ; 2021:12 p. Available at: https://hal.science/hal-03124863. Consulté janvier 12, 2023.
  • Chancibault K, Mosset A, Lotfi Z, et al. Reconstruction of the complete sanitation network at Greater Paris scale. Dans: Proceedings of the 15th Internationale Conference on Urban Drainage.; 2021:3p.
  • Bernard E, de Munck C, Chancibault K, Mosset A. Définition d’un cadre de modélisation hydro-climatique à l’échelle de Paris et sa petite couronne. Dans: 9èmes Journées Doctorales en Hydrologie Urbaine.; 2020.
  • Bernard E, Chancibault C, K de M, Mosset A, Lemonsu A. Hydro-climatic response of Paris Mmetropolitan area through TEB-Hydro model simulation: multi-catchment calibration and model evaluation. Dans: 15th International Conference on Urban Drainage.; 2021.
  • Chancibault K, Mosset A, Lotfi Z, et al. Reconstruction and simplification of the Greater Paris sewerage network. Dans: UNESCO, éd. Proceedings of the 2nd International conference "Water, Megacities and Global Change".; 2020.
  • Bernard E. Réponse hydro-climatique de Paris et sa petite couronne. 2021.