Cahier des Ponts 7 : la Pollution plastique (août 2023) Carte blanche à Bruno Tassin
Cahier des Ponts n°7 : La Pollution Plastique (PDF : 94 Mo)
Sommaire : numéro de page de chaque chapitre
- 3 Édito • Anthony Briant
- 4 Carte blanche à • Bruno Tassin
- 8 Les impacts de la pollution plastique sur les écosystèmes marins • Alexandra Ter Halle
- 11 Qu’est-ce que les plastiques font faire aux humains ? • Denis Blot
- 14 Pollution macroplastique : sources et flux • Romain Tramoy
- 17 Pollution microplastique dans le continuum terre-mer : des activités anthropiques génératrices de pollution plastique aux océans • Johnny Gasperi
- 20 L’analyse des microplastiques : 10 ans d’évolutions méthodologiques • Rachid Dris
- 22 Le projet LimnoPlast : une approche transdisciplinaire • Christian Laforsch
- 25 Une approche pédagogique pluridisciplinaire : l’atelier sur les plastiques, l’eau et l’environnement • Bernard de Gouvello
- 27 L’action du ministère de l’environnement pour lutter contre la pollution plastique • Philippe-Marie Lacroix
- 30 La surveillance des débris plastiques dans les milieux naturels • Pierre-François Staub
- 32 Les microplastiques dans les aliments • Guillaume Duflos
- 33 Caractérisation des déchets au sols menée par la Direction de la Propreté de Nice • Laurent Calatayud
- 35 Des avaloirs connectés pour lutter contre les rejets plastiques en mer à Marseille • Dominique Laplace
- 36 Paris ambitionne le zéro plastique à usage unique en 2024 ! • Lila Durix
- 38 La recherche au service des collectivités pour veiller à la santé des consommateurs d’eau du robinet •Véronique Heim, Sylvie Thibert
- 40 L’assainissement au service de la préservation de la ressource en eau • Vincent Rocher
- 42 Le point sur … • Moïra Tourneur (Zero Waste France), Diane Beaumenay-Joannet (Surfrider)
- 44 Paroles d’entreprises • Valérie Derrey (Eau de Paris), Yannick Ratte (Veolia), Xavier Litrico (SUEZ)
- 49 Les essentiels
- 50 Quiz
Edito : Anthony Briant, Directeur de l’École des Ponts ParisTech
Vendredi 2 juin 2023, le sommet des Nations unies sur la pollution plastique, qui réunissait à Paris 175 pays et quelques 850 représentants de la société civile, s’achève difficilement par l’adoption à l’unanimité d’une résolution prévoyant la rédaction de la première version d’un traité international pour novembre 2023. Polarisant l’attention des médias, mobilisant associations et citoyens, la pollution plastique est, plus que jamais, au cœur de l’agenda des débats de société.
D’un côté, les pays de la coalition de haute ambition se proposent de réduire la production mondiale annuelle qui atteint désormais 460 millions de tonnes et de « casser l’exponentielle » qui la caractérise. De l’autre, un autre groupe de pays, parmi lesquels de gros producteurs de pétrole, veulent que le traité se focalise sur les déchets et le recyclage.
Deux positions antagonistes qui traduisent les enjeux que ce matériau, toujours plus utilisé partout sur la planète, concentre et qui représente un enjeu socio-économique, en plus d’un défi environnemental fondamental pour les années à venir.
D’abord par la recherche, puis, par l’enseignement, l’École des Ponts ParisTech s’est saisie de cette problématique et entend y apporter de nouveaux éclairages. Pour mieux appréhender la situation à laquelle nous sommes confrontés, elle interroge les causes, autant que les modes d’action et solutions envisageables.
Précurseur, le LEESU a, depuis plus de 10 ans, adopté une démarche scientifique innovante, qui s’attache à comprendre les origines et flux de plastique, des milieux urbains aux milieux récepteurs continentaux. Issues d’un travail collaboratif avec les universités Gustave Eiffel et Paris Est-Créteil, ces recherches ont contribué à des développements méthodologiques et des avancées scientifiques majeurs, en démontrant, par exemple, la présence de plastique dans les retombées atmosphériques.
Présent partout, des sommets himalayens aux corps des êtres humains et non humains, c’est bien dans les milieux aquatiques que le plastique a le plus été rendu visible. À ce titre, la question de la pollution plastique renvoie aussi à celle de l’accès à une eau propre et dépolluée. Pour contribuer à la production d’une eau de distribution et un assainissement de qualité, la recherche développée à l’École s’inscrit dans une démarche partenariale. À l’échelle territoriale, elle s’expérimente, via des collaborations avec le SIAAP, le SEDIF, ou encore Suez et Veolia, pour n’en citer que quelques-unes, et valide ses résultats sur le terrain.
Par ailleurs, l’École a, très tôt, intégré la gestion de l’eau à la formation ingénieur, enjeu majeur dans le cadre du dérèglement climatique. Au sein du département VET, le parcours Environnement développe le thème de l’eau dans la ville, en l’axant autour de transitions aujourd’hui incontournables pour former des ingénieurs capables de répondre aux enjeux de la société d’aujourd’hui.
Ce nouveau numéro du Cahier des Ponts vous propose un tour d’horizon de cette problématique complexe. Je vous souhaite une bonne lecture de cette nouvelle version électronique augmentée.
Pour revoir la Matinale des Ponts : Pollution plastique des eaux : comment agir ?
Carte blanche à Bruno Tassin
Rédactrice • Lucile HEUZÉ
Le plastique est une source majeure de pollution pour l’environnement et tout particulièrement, les milieux aquatiques. Bruno Tassin, chercheur au LEESU, conduit depuis plus de dix ans une démarche scientifique pionnière pour identifier les sources et cartographier les flux à l’échelle de la ville.
Un impact environnemental majeur
Avec le climat et la biodiversité, la pollution plastique serait-elle un autre grand défi ? Omniprésent dans notre quotidien, ce matériau présente la particularité, outre d’avoir une durée de vie extrêmement longue, largement supérieure à celle de l’espèce humaine, de se fragmenter sous l’effet de l’usure mécanique et du rayonnement solaire.
Avec le temps, il se transforme en microplastiques, c’est-à-dire en particules de moins de 5 mm, puis, en nanoplastiques (particules inférieures à un micromètre, soit un millième de millimètre).
Transportés par les vents et les cours d’eau, ces particules se retrouvent partout, jusque dans les océans. Il est souvent avancé, même si les données manquent de robustesse, que 80 % des plastiques récoltés en mer sont issus d’activités terrestres et rejetés par les fleuves ou les côtes. Les 20 % restant sont générés par des activités maritimes, et notamment, la pêche. Portés par certains courants marins, ou « gyres », les plus gros déchets se concentrent au milieu des océans, allant jusqu’à former ce que d’aucuns appellent improprement des « continents ». Il en existe désormais cinq à l’échelle mondiale. Les microparticules, quant à elles, sont présentes dans tous les écosystèmes aquatiques, continentaux ou marins et peuvent être ingérées par les organismes vivants, tout au long de la chaîne alimentaire. Se comptant en mille milliards, elles peuvent fixer les autres micropolluants présents dans l’environnement.
Le LEESU précurseur
Si le risque environnemental lié à la présence de plastiques dans les milieux aquatiques est désormais connu et largement relayé, les travaux de recherche sont encore relativement récents et les méthodologies d’analyse, en constante évolution. Sous l’impulsion de Bruno Tassin, le LEESU a été le premier en France à développer, dès 2012, une approche très novatrice de la question, en interrogeant le rôle de la ville et des eaux continentales (fleuves, rivières) dans les émissions et le transfert de plastique vers les océans.
Spécialiste en hydrologie urbaine et directeur de recherche au LEESU (École des Ponts ParisTech), Bruno Tassin s’est d’abord intéressé à la modélisation des systèmes lacustres, sur le lac Léman – son sujet de thèse, puis, sur le Lac du Bourget en cours de restauration dans les années 1980-1990. Il a ensuite appliqué son approche méthodologique à l’évaluation de la qualité des eaux urbaines, en particulier, par temps de pluie. Il s’est alors orienté vers l’étude de quelques familles de micropolluants, toujours en milieu urbain, avant d’orienter ses recherches vers l’étude des microplastiques à l’échelle de la ville. « C’est en écoutant la directrice scientifique de l’Ifremer, que j’avais invitée à donner un cours, évoquer cette problématique pour le littoral, que l’idée est venue de ce nouveau programme de recherche », explique-t-il.
Analyse des sources et des flux
Avec Johnny Gasperi (directeur de recherche, université Gustave Eiffel) et Rachid Dris (maître de conférences, université Paris-Est Créteil, LEESU), auteur d’une thèse sur les sources et le devenir des macro- et microplastiques dans les hydrosystèmes urbains, ils forment une équipe qui œuvre à l’analyse des contaminants en milieu continental. À partir de méthodologies développées dans le cadre de l’étude des micropolluants, cette démarche se fonde sur des études de terrain, menées à l’échelle de la ville de Paris et de son agglomération, « une zone idéale car de grande taille et dotée d’un milieu récepteur, la Seine, à faible débit, dans lequel les impacts se voient facilement ».
Dans un premier temps, il s’est agi de déterminer les apports des différentes sources urbaines et les flux (retombées atmosphériques, eaux de ruissellement, effluents de stations d’épuration, rejets urbains en temps de pluie, etc.) responsables du transfert de plastique de la ville aux milieux récepteurs. Les premiers travaux ont mis en évidence
un résultat très inattendu, à savoir, la présence de plastique dans la basse atmosphère.
Après quoi, les concentrations et la propagation des plastiques dans la Seine ont été estimées via des prélèvements réalisés à différents endroits de l’amont à l’aval de l’agglomération et sous diverses conditions (par temps sec, pluie, crue, etc.). Dans ce domaine, les techniques et méthodes se sont progressivement affinées.
Pour ce qui est des microplastiques, les prélèvements en rivière ont longtemps été réalisés à l’aide de filets utilisés dans le milieu marin, mais qui se sont avérés peu appropriés aux rivières, ce qui induit des problèmes de représentativité. Depuis trois ans, dans le cadre du programme européen, LimnoPlast, un système de filtration de l’eau in situ est utilisé. Il permet d’accéder aux particules jusqu’à 25 μm, de travailler sur des volumes de plusieurs centaines de litres et d’obtenir des résultats fiables. Ensuite, au laboratoire, les plastiques sont concentrés et isolés dans les échantillons en jouant, notamment, sur leur faible densité « ce qui permet de passer d’une concentration d’une particule de plastique pour un milliard d’autres à une particule de plastique pour mille autres », indique Bruno Tassin. Ils sont alors caractérisés et quantifiés par imagerie, grâce à un spectromètre infrarouge. D’autres approches, dites « destructrices », consistent à pyrolyser les particules d’échantillons d’eau brute, puis à les analyser en chromatographie gazeuse. Elles permettent d’identifier les signatures chimiques des particules inférieures à 25 μm.
La démarche relative à l’analyse des macroplastiques s’est d’abord concentrée sur l’étude des estuaires, avant de remonter progressivement vers les bassins versants. Aujourd’hui, les déchets sont récupérés à l’aide de filets installés, en collaboration avec les collectivités locales, à l’aval des points de rejet et en direction des milieux naturels (émissaires pluviaux, déversoirs d’orage). « Contrairement aux microplastiques qui sont difficiles à sourcer étant donné que les polymères retrouvés sont très répandus, les macroplastiques sont facilement identifiables. Nous trouvons beaucoup de lingettes, mais aussi, des bouteilles, des boissons avec paille, des emballages de paquet de cigarettes, en d’autres termes, des marqueurs de nos modes de vie urbains », relève Bruno Tassin.
Des enseignements intéressants
La compilation de ces données se poursuit aujourd’hui sous la responsabilité d’une équipe élargie. Elle a, d’ores et déjà, abouti à deux conclusions :
- Romain Tramoy, chargé de recherche contractuel au LEESU, a mis en évidence le rôle des estuaires. Agissant comme de gigantesques lessiveuses, ils retiennent, pendant parfois des décennies, les plastiques qui, avec le temps, s’échouent sur les berges. Selon Bruno Tassin, « un nettoyage des berges est très efficace pour éviter le transfert des plastiques en mer ».
- D’autre part, et contrairement à une idée répandue, les comportements individuels ne semblent pas être particulièrement en cause. « En effet, si l’on rapporte les quantités de déchets (environ 200 tonnes par an transférés depuis l’estuaire de la Seine vers la Manche) à l’échelle des flux à l’habitant ou à l’hectare de surface urbaine, on atteint un ordre de grandeur d’une dizaine à quelques dizaines de grammes par personne et par an. À titre de comparaison, une bouteille d’un litre d’eau gazeuse en plastique pèse environ 30 g. Cette estimation, cohérente sur tous les sites de prélèvement, est très faible au vu des quantités consommées – de l’ordre de plusieurs dizaines de kilogrammes. »
Le problème est donc plus complexe et ne se pose pas qu’en termes de comportement. Il tient autant à la nature des plastiques – non dégradables et dont moins de 10 % dans le monde est recyclé – qu’à l’importance des volumes produits en croissance continue (+4 % par an à l’échelle mondiale). La société contemporaine ne peut plus se passer du plastique, présent dans tous les secteurs économiques, du transport à l’alimentation, en passant par la santé ou le textile, dans les objets du quotidien, mais aussi, dans toutes les activités, et dont l’usage cause l’usure. À titre d’exemple, citons les emballages, les isolants sur les chantiers, les interactions des pneus avec la route, les terrains de sport synthétiques, etc. À cela s’ajoute aussi toute la famille des fibres synthétiques, issues, notamment, des textiles, rejetées dans les eaux usées lors des lavages en machine et qui ne sont pas complètement retenues en station d’épuration, mais aussi, les cordages, tapis, moquettes, sièges (d’avion, de train, de voiture). Au total, à l’échelle mondiale, près de 370 millions de tonnes de plastique sont produites par an auxquels s’ajoutent 100 millions de tonnes de fibres. Or, cette trajectoire n’est pas soutenable sur le long terme : Le Resilience Center de Stockholm, travaille, depuis 2015, sur les « limites planétaires » par catégorie (eau, climat, biodiversité, flux biochimiques…). Il estime que celle des micropolluants, dite nouvelles entités, et dont font partie les microplastiques, a déjà franchi la limite acceptable, souligne Bruno Tassin.
Suivre les tendances
Dans le but de récolter et consolider les données, un Observatoire des macroplastiques est à l’étude. Sur le modèle du programme de surveillance maritime OSPAR, l’objectif est d’utiliser des grilles d’analyse communes précises afin de comparer les résultats de différents sites, les affiner et dessiner des tendances nationales.
Un Observatoire dédié aux microplastiques pourrait également voir le jour d’ici quelques années. Sa mission principale serait d’engager des prélèvements d’échantillons sur le temps long, à l’aval des bassins versants, et de constituer des échantillothèques pour permettre des analyses a posteriori. « La caractérisation des microplastiques est en évolution constante et ses méthodes (de séparation, d’analyse) ne sont pas stabilisées. Il est donc important de garder les échantillons prélevés pour pouvoir refaire des analyses a posteriori, lorsque les techniques auront progressé ».
Enfin, une autre perspective de recherche nécessiterait d’être approfondie : l’analyse des usages et pratiques. Il s’agirait ici d’explorer la question des déchets d’un point de vue sociologique, pour mieux comprendre les sources d’émission, et plus largement, déconstruire certains a priori. La question de la pollution plastique, éminemment complexe, fait intervenir de nombreux champs et nécessite, pour être traitée efficacement, une approche globale et pluridisciplinaire.