1-Contexte et objectifs
On s’attend à ce qu’en 2025, plus que 60 % de la population mondiale vivra dans des zones urbaines (EC DGRP 2011) des zones de plus en plus confrontées au problèmes d’approvisionnement en eau car elles concentrent, d’une part, la plus forte demande et, d’autre part, sont les principales responsables de la pollution. Malgré des technologies de plus en plus efficaces, la pression sur les ressources en eau augmente notamment à cause des changements globaux modifiant leur disponibilité. Et pourtant l’homme pourrait faire plus avec du moins par exemple au sein des ménages. On sait que seulement une petite partie des utilisations domestiques de l’eau nécessitent une qualité d’eau potable et que la majorité du volume pourrait être satisfaite avec une qualité inférieure. Ce constat ouvre la voie à faire plus avec le même volume d’eau en le réutilisant. L’habitat individuel, avec sa grande modularité et ses faibles contraintes réglementaires, offre un potentiel non négligeable d’économies d’eau à l’échelle des agglomérations. En banlieue parisien les propriétés résidentielles représentent deux tiers de la population périphérique, population pratiquant souvent une forme de récupération et de réutilisation d’eau, (De Gouvello and Deutsch 2009).
La réduction de la consommation d’eau à l’échelle de l’habitat individuel peut se faire par la substitution des flux de bonne qualité (souvent de l’eau potable) par un flux de moins bonne qualité comme eau de pluie, ou des eaux issus d’un procédé peu polluant. Par exemple, la machine à laver pourrait être alimentée par de l’eau de pluie tandis que les toilettes pourraient se satisfaire avec des eaux grises traitées, économisant environ 30% des consommations quotidiennes. Ces approches sont mises en œuvre à l’échelle des bâtiments dans certains pays industrialisés comme l’Australie ou les États-Unis (Mandal et al. 2011; Fountoulakis et al. 2016), et pourraient également être mise à la portée des habitats individuels à l’aide des méthodes simples comme les lits de sable ou murs filtrants construits avec les matériaux locaux (Rysulova et al. 2017; Prodanovic et al. 2018). En France la gestion des ressources en eau et plus spécifiquement la réduction de la demande en eau sont au cœur des récentes politiques portées par le Ministère de transition écologique (Plan national sur l’eau, Agenda 2030, loi anti-gaspillage pour une économie circulaire). Les Assises de l’eau de 2020 et le Plan d’eau de 2023 ont confirmé plus spécifiquement l’intérêt de réutiliser des eaux et ont fixé un objectif national de tripler, d’ici à 2025, les volumes des eaux non conventionnelles. Le cadre juridique et sanitaire évolutif concernant l’utilisation des eaux de pluie et la réutilisation des eaux usées traitées (Legifrance 2023) devrait permettre de mieux inclure les eaux non conventionnelles dans la palette des ressources disponibles.
L’hypothèse de ce projet de recherche est qu’une adaptation simple des systèmes existants des logements individuels permettrait de réduire jusqu’à 50 % leur consommation d’eau, si les flux des eaux non conventionnelles (eau de pluie et eau usée) sont traités de manière simplifiée et réutilisés de manière intelligente. La diminution conséquente de la consommation d’eau contribuerait à une meilleure gestion des bassins versants en réduisant la demande globale de transfert. Les incitations économiques résultant de la réduction des factures d’eau pourraient être un moteur de changement plus efficace que les campagnes de sensibilisation visant à créer une conscience environnementale. Cela nous emmène à la deuxième hypothèse selon laquelle la mise en œuvre de la réutilisation et de la réduction de la facture d’eau, créera une plus grande prise de conscience et diminuera l’utilisation des produits de soins personnels, difficilement dégradable (Kasprzyk-Hordern et al. 2008; Zedek et al. 2015) et incitant leur substitution par des produits plus respectueux de l’environnement. Ce changement de comportement permettra d’améliorer le traitement des eaux usées domestiques et de faciliter leur réutilisation, notamment pour le lavage et l’irrigation (DITP 2019) tout en respectant le cadre sanitaire en vigueur (Legifrance 2022, 2023).
L’action sur l’habitat individuel des banlieues métropolitaines aidera ainsi à réduire leur demande en eau et compenser partiellement la diminution des ressources dues aux changements climatiques.
L’objectif principal de cette recherche est une réflexion sur les usages domestiques de l’eau, les qualités minimales associées et les cycles d’optimisation possibles, afin de réduire l’empreinte eau des villes métropolitaines et de leurs bassins versants. Les objectifs secondaires qui en découlent sont :
- i. Diminution des besoins en eau au sein des ménages par l’optimisation des usages et un traitement adapté
- ii. Évaluation de la capacité des ménages à modifier leurs usages de l’eau
- iii. Estimation des bénéfices hydriques pour différente scénarios à l’échelle d’un territoire urbain
2-Methodologie
Dans le cadre du projet Eautonome visant à réduire les besoins en eau de l’habitat individuel par le biais d’une réutilisation intelligente des eaux grises, un prototype de récupération et de traitement des eaux grises est en train d’être finalisé dans une maison individuelle à Noisiel en banlieue Est parisienne. Le circuit d’eau a été équipé en 2023 avec des capteurs de débit, de température et de conductivité dans le cadre du programme Labex urbain.
L’action proposée vise en premier lieu à évaluer les différentes quantités et qualités d’eaux grises produites au sein de l’habitat cité, pour déterminer le flux les plus aptes au traitement simplifié satisfaisant les usages de chasse d’eau et de nettoyage. Il s’agit de caractériser les usages (individuels) par leur débits consommés et pour la plus important la douche, de caractériser également la variabilité de la qualité produite.
La caractérisation des qualités d’eau du gisement se fera en continu sur la base de trois paramètres: débit, température et conductivité. Un capteur devra être développé en collaboration avec l’ESIEE pour suivre les tensioactifs et permettre la sélection des flux à traiter.
Dans le deuxième temps il s’agit de suivre le fonctionnement du filtre à sable planté et de la quantité et qualité (environnementale et sanitaire) d’eau produite. Le dimensionnement du système a été fait en collaboration avec le bureau d’étude Sint.
3-Résultats attendus et valorisation
L’objectif final du projet Eautonome est d’arriver, à l’échelle d’une ville, à estimer les économies d’eau possibles à partir des résultats du pilote et de la connaissance des contraintes socio-techniques du système et des caractéristiques spatiales.
L’objectif technique de l’action est de réaliser un suivi quali-quantitatif des usages de l’eau avec un des composants low-cost basés sur produits grand public (domotique) ou industriels permettant des coûts d’installation dans des ménages modestes.
Résultats scientifiques ou techniques escomptés : obtenir un prototype low-cost fonctionnel de recyclage des eaux grises, connaissance détaillée de patrons de consommation d’eau et des volumes pouvant être recyclés à faible coût, contribution à la connaissance des ressources et des besoins en eau à l’échelle urbaine.
Un contrat doctoral et en cours de montage. Les candidats intéressés peuvent envoyer leur CV et lettre de motivation à martin.seidl [AT] enpc.fr
Références bibliographiques
- De Gouvello B, Deutsch J-C (2009) La récupération et l’utilisation de l’eau de pluie en ville : vers une modification de la gestion urbaine de l’eau ? Flux 14–25. https://doi.org/10.3917/flux.076.0014
- DITP (2019) Transition écologique. quel apport des sciences comportementales ? Direction interministérielle de la transformation publique
- EC DGRP (2011) Les villes de demain: défis, visions et perspectives., European Commission Directorate-General for Regional Policy. EUR-OP, Luxembourg
- Fountoulakis MS, Markakis N, Petousi I, Manios T (2016) Single house on-site grey water treatment using a submerged membrane bioreactor for toilet flushing. Science of The Total Environment 551–552:706–711. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2016.02.057
- Kasprzyk-Hordern B, Dinsdale RM, Guwy AJ (2008) The occurrence of pharmaceuticals, personal care products, endocrine disruptors and illicit drugs in surface water in South Wales, UK. Water Research 42:3498–3518. https://doi.org/10.1016/j.watres.2008.04.026
- Legifrance (2022) Décret no 2022-336 du 10 mars 2022 relatif aux usages et aux conditions de réutilisation des eaux usées traitées. JORF
- Legifrance (2023) Décret n° 2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées. JORF
- Mandal D, Labhasetwar P, Dhone S, et al (2011) Water conservation due to greywater treatment and reuse in urban setting with specific context to developing countries. Resources, Conservation and Recycling 55:356–361. https://doi.org/10.1016/j.resconrec.2010.11.001
- Maurer H (2018) L’économie circulaire dans le petit cycle de l’eau : la réutilisation des eaux usées traitées. Institut National de l’Economie Circulaire - SUEZ
- Oteng-Peprah M, Agbesi Acheampong M, DeVries NK (2019) Predicting greywater reuse for potable and non-potable purposes in a developing country – a theory of planned behaviour approach. DWT 142:56–64. https://doi.org/10.5004/dwt.2019.23414
- Prodanovic V, Zhang K, Hatt B, et al (2018) Optimisation of lightweight green wall media for greywater treatment and reuse. Building and Environment 131:99–107. https://doi.org/10.1016/j.buildenv.2018.01.015
- Rysulova M, Kaposztasova D, Vranayova Z (2017) Green Walls as an Approach in Grey Water Treatment. IOP Conference Series: Materials Science and Engineering 245:072049. https://doi.org/10.1088/1757-899X/245/7/072049
- Zedek S, Bressy A, Deshayes S, et al (2015) Loads of parabens, triclosan and triclocarban in greywater: are PCPs the main source of contamination? In: 25th Annual Meeting SETAC Europe. Barcelone, Spain