# L’utilisation d’excrétats humains en agriculture biologique : quels obstacles, quels leviers ?

A l’heure actuelle l’utilisation des matières fertilisantes issues des excrétats humains n’est pas légale en Agriculture Biologique. Cela peut paraître paradoxal, notamment dans une optique de fermeture des cycles des nutriments.

Un projet d’ingénieur en laboratoire, mené au printemps 2022 par Odile Marandet au sein du programme OCAPI, s’est penché sur cette épineuse question, examinant en particulier les perspectives d’évolution réglementaire.

Le rapport associé à l’étude est à présent disponible. Avec, à la clé, nous l’espérons, des pistes d’actions pour les partenaires du secteur.

Marandet, O. 2022. Fermer les cycles de nutriments pour une agriculture soutenable : Analyse des freins et leviers à l’utilisation d’excrétats humains en agriculture biologique. Projet d’ingénieur en Laboratoire ENPC.

Résumé

Tel que cité dans le règlement européen, le principe d’une agriculture biologique fondée sur des systèmes écologiques fait face à un paradoxe en ce qui concerne la gestion des nutriments. En effet, en Europe, il n’est légalement pas possible d’utiliser des fertilisants à base d’excrétats humains en agriculture biologique, alors que ceux-ci contiennent presque tout l’azote, le phosphore et le potassium que nous ingérons. Il est donc impossible de fermer les cycles de nutriments. En plein essor sur le continent, l’agriculture biologique est par ailleurs susceptible de se trouver face à un manque de nutriments à court terme pour fertiliser ses sols, et en particulier de phosphore qui ne peut pas être apporté autrement que via des intrants exogènes.


Afin de comprendre comment ce paradoxe pourrait être résolu, il s’est agi dans un premier temps d’étudier la réglementation, puis de solliciter différents acteurs de la recherche et des institutions. L’étude s’est surtout concentrée sur la question des urines. D’un point de vue réglementaire, deux conditions cumulatives doivent être remplies par un fertilisant pour être autorisé en bio : il doit être légalement mis sur le marché ou faire l’objet d’une dispense telle que notifiée dans l’article L255-5 du Code Rural et de la pêche maritime, et être inscrit à l’annexe II du règlement 2018/848.


Pour lever cette impossibilité, le premier frein majeur identifié résulte de la présence de micropolluants, notamment de résidus médicamenteux dans les excrétats. L’ensemble des enquêtés ont préconisé d’abattre ces polluants, qui selon leurs propos pourraient présenter des risques pour la santé humaine, pour l’environnement, et contreviennent au principe biologique de ne pas introduire de produits chimiques sur les cultures. Cependant, il semblerait que l’Aurin, produit suisse à base d’urine humaine où les résidus médicamenteux sont traités et qui a été approuvé sans restriction par l’office fédéral agricole suisse, ne pourrait pas être autorisé en agriculture
bio (européenne et suisse) en raison de son caractère fortement minéral, qui s’oppose au principe de nourrir le sol et non la plante. Ce problème de forte minéralité constitue le deuxième frein identifié, spécifique aux urinofertilisants. Les acteurs interrogés étaient plus partagés sur cette question : même si la matière organique est préférable pour fertiliser les sols, et que des fertilisants minéraux peuvent être nocifs pour les organismes du sol, certains enquêtés ont souligné que les nutriments sous forme minérale sont nécessaires au début du printemps sur les grandes cultures notamment, ou peuvent être ajoutés à des amendements organiques pour les enrichir.

Par ailleurs, d’autres fertilisants dont la part en azote minéral est significative, comme le lisier de porc ou les digestats de méthaniseur, sont autorisés en bio, ce qui semble contradictoire. Cette analyse soulève donc des questions de nature plus conceptuelles sur la réglementation biologique : les effluents d’élevage non industriels non bio sont autorisés, même si ces élevages ont des traitements médicamenteux ; la notion de solubilité n’est pas définie, malgré le principe de non-solubilité des fertilisants et l’autorisation de certains fertilisants à forte teneur minérale ; l’écologie et la sauvegarde de l’environnement sont défendues, mais la répartition spatiale des
élevages par rapport aux cultures biologiques induit des transports de fertilisants sur des longues
distances.

On conclut de cette étude que, sous réserve d’un abattement des résidus pharmaceutiques et de procédures de contrôle, il semble plausible que des fertilisants à base d’excrétats humains puissent être autorisés en agriculture biologique, y compris des urinofertilisants à dominante minérale. Les modalités de cette ouverture aux excrétats humains peuvent toutefois être plus ou moins restrictives, et le délai avant cette ouverture peut potentiellement aller jusqu’à une décennie si les procédures étaient enclenchées dès aujourd’hui. La sortie de l’agriculture biologique de son statut de niche et la bifurcation globale vers une agriculture européenne soutenable nécessite que les enjeux de retour au sol de l’engrais humain soient bien plus largement appropriés par les acteurs agricoles et institutionnels.