# Infocapi n°15 : octobre 2023 – Traiter les urgences

EDITO

L’urgence revient souvent comme un argument massue pour justifier toute forme d’action face au désastre écologique et social. L’écueil principal est alors de négliger certains aspects de l’action au prétexte d’une primauté de l’urgence (réduction des émissions de gaz à effet de serre au détriment d’une baisse globale de l’empreinte environnementale, actions environnementales négligeant les dimensions sociales, etc.). Au lieu de traiter les urgences, on les empire alors et on les cumule. Face à une urgence de transformation radicale qui date de plus de 50 ans, peut-on encore invoquer l’urgence ?

Des philosophes de l’environnement, dont en particulier Émilie Hache dans Ce à quoi nous tenons[1], nous invitent plutôt à faire preuve de pragmatisme (au sens de cette école philosophique dont deux figures majeures sont William James et John Dewey). Il s’agit de ne pas faire primer la fin (agir en urgence pour traiter un problème) sur les moyens (que fait-on en pratique pour traiter ce problème ?). Il ne s’agit pas non plus d’adopter une posture déontologique faisant primer les moyens sur la fin. Il s’agit d’essayer d’agir en responsabilité, non pas en disant ce qu’il faudrait faire, mais être en capacité de répondre de ce que le désastre nous fait faire, avec une exigence conjointe sur les moyens et sur les fins.

Au vu de l’ampleur des transformations à faire dans notre société, cette exigence paraît bien difficile à tenir, tant il est délicat d’agir en responsabilité sur tous les enjeux cumulés d’inégalités environnementales, sociales et économiques. Et, paradoxalement, cette exigence peut renvoyer à des actions à échelle réduite, qui semblent d’autant moins répondre aux urgences qu’elles sont de petite taille.

Mais on sent bien une ébullition croissante autour de ces initiatives exigeantes. Et la recherche-action publique peut (et doit !) agir à au moins trois niveaux : celle d’accompagner les (petites) initiatives exigeantes qui peuvent devenir les modèles de demain, celle de penser les transformations d’ampleur pour nourrir leur avènement, celle d’ouvrir les imaginaires pour rendre tangibles et sensibles ces transformations souhaitables.

Cet Infocapi illustre notre travail à ces trois niveaux. La thèse de Paul Minier, à ne pas manquer le 26 octobre après-midi, étudie les initiatives de toilettes sèches en France pour penser la transformation à grande échelle de la gestion des matières fécales pour une meilleure gestion, préventive et non curative, du risque biologique lié aux matières fécales (ce que l’on pourrait appeler « assainissement »).

Les dégustations de pâtisseries Boucle d’Or se multiplient pour incarner ces transformations en cours, en écho aux essais menés par les chambres d’agriculture. Le spectacle Humus Humains continue également à ouvrir les imaginaires par la recherche-création, comme à la fête de la Science le 14 octobre à l’Ecole des Ponts.

Et nos communications aux congrès (ASTEE, RAMIRAN, RIODD, ISIE) montrent la possibilité et la pertinence de transformations très ambitieuses, ainsi que leur cohérence avec les propositions de transformation systémique portées par d’autres acteurs de la recherche (refondation de l’économie, de l’aménagement, de l’organisation politique, etc.). Une question fondamentale étant de savoir comment organiser des alliances efficaces pour réorienter nos sociétés vers la solidarité, la justice sociale et le respect des limites planétaires.

Des sujets de débat à retrouver, appliqués à la question des systèmes alimentaires et de la gestion des urines et matières fécales humaines, sur internet sous forme de vidéo (TED-X), d’interview radio (La Terre au Carré sur France Inter) et bientôt au Rich Earth Summit, visio-conférence internationale à ne pas manquer du 7 au 9 novembre.

[1] Emilie Hache, Ce à quoi nous tenons, Propositions pour une écologie pragmatique, Paris : La Découverte, 2011.

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